« Tu tʼoccupes de migrants !!! Je préfère quʼils restent où ils sont. » « Mais vous savez que vous allez vous faire violer !!! »
« Et pourquoi ils ne restent pas dans leur pays pour se battre ? »
Surprise par la violence des réactions de certaines personnes, pendant quelques semaines jʼai préféré ne pas répondre à ces propos malsains. Voire, pire jʼai essayé de ne pas les entendre jusquʼà la nausée.
Novembre 2016 : Associée à des membres du collectif Agir, du Secours Catholique, de la Croix rouge et un conseiller municipal du village accueillant, jʼai eu la chance de préparer leur maison avant leur arrivée. Nous savions quʼil y aurait 4 enfants et 3 adultes. Mettre des meubles, des lits. Trouver une table de cuisson compatible avec la cuisine de cette vieille dame décédée qui avait une si belle maison… Et le début de la solidarité. Si cʼest pour des migrants, cʼest cadeau. Découvrir le noyau dʼune équipe municipale motivée.
Aller voir les voisins avant lʼarrivée de la famille. Ces voisins inquiets car mal avertis deviendront vite des voisins sur lesquels il est possible de compter. Qui surveilleront discrètement et alerteront si besoin.
12 décembre 2016 : ils arrivent ce soir vers 23 heures !! Nous nʼirons pas tous les accueillir afin de ne pas les brusquer. Les enfants, 2 garçons 2 filles, nʼont pas voulu manger la soupe préparée par une autre référente. Il manquait des ampoules à la camionnette qui les a amenés. Mais la jeune conductrice était splendide.
Le surlendemain 14 décembre départ pour la plateforme dʼaccueil des migrants à Marseille. Personne ne parle, je souris, jʼessaie de les rassurer en anglais. Dans ma voiture, 2 petites filles 4 et 5 ans, leurs parents sont dans une autre voiture, ainsi que leur jeune oncle, pas encore 20 ans.
Je suis sidérée par le silence des 4 enfants dans la file qui patiente dans le froid, puis dans la salle dʼattente. Ils se passera des semaines où les enfants sʼexpriment peu, très peu : la plus petite 4 ans nʼémet quʼun tout petit petit cri de souris lorsquʼelle veut attirer lʼattention. Lʼaîné 10 ans bouge un tout petit peu lʼindex en guise dʼexpression verbale, geste à peine perceptible. Beaucoup plus tard nous apprendrons que ces enfants ont été recouverts par des bâches dans un camion pour fuir le Soudan, quʼils ont « voyagé » quel terme horrible pour parler de lʼattente cachés à la frontière du Soudan, de lʼesclavage en Libye, de lʼentassement sur un bateau dont le moteur sera volé par des pirates sûrement des passeurs. Recroquevillés, à peine habillés sur ce simulacre de radeau mais secourus par la Croix Rouge internationale. Direction la Sicile, dans un camp de migrants, prison entourée de hauts murs.
Janvier 2017, les enfants entrent à lʼécole du village. Je les observe, la gorge sèche de les voir seuls dans la cour plusieurs semaines. Les petites filles seront plus chanceuses en maternelle, peu à peu des fillettes viennent leur prendre la main, les emmènent jouer. La caresse comme moyen de communication, elles font comme moi.
Référent, cʼest aussi essayer de trouver par hasard une personne qui parle une langue compréhensible par la maman pour parler de problèmes de femmes sans passer par lʼanglais du jeune beau-frère. Je ne sais pas encore pourquoi mais je sais quʼil faut quʼon parle, quʼil y a urgence.
Référent cʼest aussi pouvoir décrocher parfois, sʼappuyer sur les autres personnes du binôme ou trinôme. Souffler cette émotion, cette angoisse de grands-parents qui regardent ses protégés tour à tour souffrir, sʼémanciper, parler, raconter ce qui sʼest passé. Savoir trouver les mots ou plutôt les gestes, pour demander « et en prison, coups de poings, coups de bâton».
Référent cʼest aussi, devant une pâleur à peine perceptible sous cette peau noire, savoir faire comprendre que si un gros problème de santé se pose, composer le 15. Dans la nuit : un sms «H… is very very bad….».
Référent cʼest faire les courses, découvrir les Restaurants du Cœur et cette ambiance de soutien, dʼaltruisme, aller chez le dentiste, le médecin, à la PMI, se baigner au lac avec des enfants qui ont eu très peur sur la mer Méditerranée. Mais quel plaisir de les voir quand même essayer de patauger, nager.
Référent, ce sont ces heures dʼattente à la Préfecture avec lʼespoir dʼune première attestation de demandeur dʼasile. Malheureusement apprendre quʼils sont demandeurs dʼasile procédure Dublin donc expulsables vers lʼItalie. Puis les mois passant, redouter ce renvoi dans le pays dʼaccueil qui forcément se rapproche. En juin 2017, avant les vacances scolaires, savoir prévoir les certificats attestant de lʼassiduité des enfants à lʼécole au cas où la remise aux autorités italiennes se déciderait dans lʼété. Être référent cʼest savoir grâce à Emmanuel de la Cimade que nous aurons 48h pour demander un recours au tribunal administratif et éviter peut-être lʼexpulsion. Nous redouterons ce renvoi vers lʼItalie dʼavril à octobre 2017. Tout se jouera très vite mais les documents sont prêts, et régulièrement mis à jour. Les adultes commencent à parler français et je demande au papa « quʼest ce que tu vas dire au juge ? pourquoi tu ne veux pas retourner en Italie ? ». Les mots sortirent tout seuls du ventre de ce père de famille qui sait que ses enfants sont bien en France, le juge en sourit, le recours au Tribunal Administratif est gagné. Les jeunes garçons ont échappé à lʼenrôlement de force pour continuer la guerre au Soudan et maintenant tous restent en France.
14 février 2018 : convoqués par lʼOFPRA ils montent seuls à Paris, forts de nos encouragements, des dossiers préparés par Emmanuel.
Début mars 2018 : recommandé AR de lʼOFPRA leur attribuant la reconnaissance dʼune protection internationale pour 10 ans. Ils étaient partis du Soudan en juillet 2015. Et savent que vraisemblablement ils nʼy retourneront jamais. Ne reverront jamais leur maman et sœurs restées là-bas car la situation du pays ne changera pas avant plusieurs décennies.
Référent, cʼest apprendre des sigles : DA, ADA, PUMA-CMUc, OFPRA… mais pour cela vous avez du temps puisque votre engagement nʼa pas encore commencé. Et puis nous sommes là pour vous guider lors de vos premiers pas.
Catherine
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